Dimanche dernier, passant aux Puces, je tombe sur un recueil
des « Annales Politiques et Littéraires», « Revue universelle
paraissant le Dimanche ». Recueil datant de 1911. Infoutu de résister aux
vieux papiers, je pars avec (après paiement !!) Et je le parcours dans la
semaine.
Et, dans un des numéros reliés, je tombe là-dessus
(l’éditorial du « Bonhomme Chrysale). Tellement d’actualité, 103 après,
que je le scanne et vous le fais partager. D’autant qu’il relate un
« scandale » concernant Marie Curie et Paul Langevin (les
commentaires en bleu et en italiques sont de ma personne, suivant une technique
empruntée sans vergogne à l’ami René Merle)
Le fameux mur Guiîloutet
(Auteur
de l'amendement de la loi d'avril 1868 sur l'interdiction faite aux journaux de
s'occuper de la vie privée de qui que ce soit. Le personnage en question avait
épousé sa cousine, comme Mme Boutin qui a épousé son cousin germain. Ceci
expliquant sans doute cela !!) n'existe plus : le reportage
moderne l'a renversé. La vie
privée, le home, sacré chez les Anglais (date donc de
1911 !!), n'ont plus de secrets pour le public. Pour peu qu'un
évènement quelconque mette un monsieur ou une
dame en évidence, les journaux étalent tout au long sa vie, ses
habitudes, généalogie, les détails intimes de son existence familiale; sa
maison est envahie une nuée de reporters, qui l'interrogent, lui et les
siens. Pendant qu'un
intrus fouille dans son secrétaire et inspecte sa garde-robe, un autre
confesse la cuisinière, un troisième
interroge le cocher
ou le cierge. Le soir, tous les renseignements
recueillis sont minutieusement reproduits, commentés, aggravés
dans les journaux à fort tirage.
Généralement, — et ceci est très significatif, — les
victimes de cette inquisition nouvelle ne songent pas à s'en plaindre,
l’amour de la
réclame est aussi, une des caractéristiques de notre époque. On
éprouve un irrésistible
besoin de faire parler de soi, de voir son nom imprimé
dans les gazettes. Si bien qu'interviewés
et intervieweurs s'accordent parfaitement, sont « du même
bateau» et se prêtent mutuel appui. Il y a seulement
quelque quinze à vingt ans, ces
procédés auraient paru monstrueux et le précurseur qui se serait avisé
de les essayer aurait été exposé à de sérieux désagréments. Aujourd'hui, le
reportage intime est accepté de tous et bien rares sont les personnages assez
hardis pour éconduire un monsieur inconnu qui, un carnet à la main, vient
s’enquérir de leurs goûts, de leur façon de vivre, inspecter leur mobilier et
leur demander une confession publique. Ils sont innombrables, ceux qui, loin de
fuir l'indiscret, le sollicitent et souvent même le remercient et le
récompensent.
Pourtant, de temps à autre, éclate un scandale qui montre
les graves inconvénients de ces façons d'agir. Tout Paris s'est ému des
révélations publiées, cette semaine, sur Marie Curie. Un journal a osé raconter
que l'illustre veuve, honorée, admirée de l'univers entier, avait détourné de
ses devoirs un éminent professeur du Collège de France, M. Langevin, lequel,
pour la suivre, se serait évadé du domicile conjugal. Jusqu'à présent, nul ne
suspectait la vertu de Mme Curie. Il semblait que. cette savante, vouée à
d'austères travaux, titulaire d'une chaire en Sorbonne, candidate à l'Institut,
fût le type même de la femme sérieuse; sa physionomie, sa robe noire, son
visage viril, a personne dénuée de coquetterie et de grâce (sic ! En gros,
si Mme Curie est une femme sérieuse, c’est surtout parce qu’elle est moche…
NDMM), paraissaient exclure toute idée de frivolité. C'a été un cri
d'incrédulité et de stupeur dans le monde académique et dans le public. On ne
voulait pas croire à une si monstrueuse aventure. Les intéressés protestèrent
avec énergie contre cette allégation, Pourtant, Mme Langevin se plaint
effectivement de l’abandon de son mari et prétend posséder des lettres qui
contiendraient les preuves de l'inconduite de ce dernier. Peut-être, égarée par
la jalousie, est-elle dupe des apparences et attribue-t-elle un caractère
suspect à des sentiments de pure amitié. Quoi qu'il en soit, il est odieux que
de tels faits soient divulgués par la voix des journaux et portes a la
connaissance de la foule. Sur ce point, il n'y a pas deux opinions. Ces mœurs sont
intolérables .
je me rappelle une assez bonne histoire que racontait
volontiers Emmanuel Arène, rédacteur du XIXe- Siècle, avec About et Sarcey…..(suit une anecdote
un peu longue que j’ai coupe au scan)
Songez au dommage moral qu'éprouvent, à cette heure Mme Curie et M. Langevin, qui n'ont,
probablement (sic…
parce que l’auteur, qui condamne les allégations de son confrère, les porte
tout de même à la connaissance de ses lecteurs à lui…et laisse planer le doute),
aucun acte répréhensible à sel reprocher. C'est abominable (1").
Le remède? Il serait très simple, si vraiment de pareils
abus révoltaient nos contemporains et si, d'un consentement unanime, on voulait
y mettre un terme. On n'aurait simplement, comme l'a indique le législateur
Vézian, qu'à emprunter aux Anglais la loi qui, chez eux, infligent des
dommages-intérêts énormes pour la moindre atteinte portée à l'honorabilité, à
la respectabilité, au secret du "home". (Il est presque comique de voir qu’en 1911, on citait la
presse anglaise en exemple : après des années de Thatchérisme et de
Blairisme, les patrons de presse, c’est à dire les patrons tout court, ont
compris l’intérêt qu’il y avait à décerveler la population, et ils semblent
fort bien y arriver. Exemple qui fait d’ailleurs école chez nous). En France, Les magistrats accablent de mois
de prison le filou qui a volé un porte-monnaie. La propriété est gardée avec
toute la férocité du Code romain, impitoyable aux fripons. En revanche, ils
croient avoir fait tout leur devoir, quand ils ont puni de seize francs de
dommages-intérêts les diffamations les plus révoltantes. En période électorale,
cela ne compte même pas, et l'on peut impunément flétrir d'honorables familles,
pourvu que ce soit pour le bon motif : celui de l'élection. Nos mouchoirs et
nos porte- monnaie sont bien protégés : malheur à celui qui y touche! Par
contre, notre honneur est à la merci du dernier des malfaiteurs de plume...
Va-t-on, enfin, prendre des mesures? J'en doute. La loi
défensive et protectrice ne serait votée que si l'opinion l'imposait. Or,
l'opinion se montre indécise, molle, flottante... Au fond, le cabotinage est
dans nos mœurs.
(1) l’auteur
de l’article vient d’exprimer ses regrets et ses excuses à Marie Curie. Et
cette attitude lui fait honneur
Bref, déjà, en 1911… il y avait du souci à se faire !