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mardi 21 janvier 2020

Quand la sécu n'existait pas... Mai 1897, accident du travail au chantier Naval, La Seyne

Ci dessous, le scan d'un compte rendu d'une entrevue entre Monsieur LAGANE, Directeur des F.C.M (Forges et Chantiers de la Méditerranée) et des délégués du Syndicat des ouvriers perceurs, riveurs et chanfreineurs des Chantiers. Vu qu'il est assez difficile à lire, la retranscription est dessous, avec quelques commentaires.







Syndicat des ouvriers perceurs, riveurs et chanfreineurs de La Seyne



La Seyne, Mai 1897



Rapport de la délégation agissant au nom de la famille Tosello.

Les délégués Laugier, Forget, Boeri et Cavasse se sont présentés ce jour devant Monsieur le Directeur des Forges et Chantiers. Le délégué Forget a pris la parole pour demander quelle devait être la marche à suivre et où la famille Tosello devait s'adresser pour les responsabilités civiles au sujet de l'accident mortel pendant le travail le sieur Tosello.

Monsieur Lagane a répondu qu'il n'y avait qu'à s'adresser à la Compie (compagnie) d'assurance l'Urbaine. Le délégué Forget ayant insisté sur le fait que l'ouvrier en question, comme du reste tous les ouvriers des Forges et Chantiers de La Seyne, n'avait jamais rien traité avec la Compagnie d'Assurance, qu'il n'y avait pas lieu par conséquent de s'adresser ailleurs qu'à la compagnie pour laquelle travaillait le sieur Tosello. Monsieur Lagane dit qu'il avait donné des ordres dernièrement  pour que la Compagnie d'Assurances se mette en communication avec la famille intéressée afin de faire un arrangement amiable si possible;  mais sur notre affirmation que la compagnie d'assurances n'avait jamais fait aucune proposition ni d'offre, Monsieur Lagane s'est engagé à envoyer Monsieur Valacca (?) auprès de l'assurance pour lui dire de voir le chef de cette famille pour lui faire une offre dans des conditions acceptables.

Monsieur Lagane nous a dit en outre qu'il était regrettable qu'il n'existe aucune loi fixant l'indemnité à donner aux héritiers de ceux qui trouvent la mort en travaillant, que très souvent il y avait de l'imprudence de la part de l'ouvrier, que l'on donnait des planches et des cordes lorsqu'on on en  demandait . Le délégué a répondu a cette question que très souvent pour le travail de minime importance on ne pouvait pas, sur les prix faits, perdre du temps pour faire un échaffaudage (sic) dans les règles. Monsieur Lagane nous a dit que lorsque l'ouvrier était commandé pour aller faire un travail sur un échaffaudage mal établi, qu'il devait le faire remarquer au contremaître et ne pas y aller et que dorénavant les contremaîtres seront responsables des accidents.

Au sujet d'une loi  fixant l'indemnité à donner aux victimes du travail le délégué Laugier que selon lui il n'était guère possible qu'une loi puisse être établi pour ces cas, car s'il arrive quelque fois qu'il y ait faute de la part de l'ouvrier il y a aussi souvent faute du patron pour manque de précaution pour la sécurité ds ouvriers.

Monsieur Lagane a répondu que cela était à discuter.
Sur ce nous nous sommes retirés.

Signature des délégués
 
Quelques précisions
Les syndicats ont pu se créer à partir de loi Waldeck-Rousseau, ministre de l'Intérieur républicain qui la fit voter le 21 mars 1884 . Il semble donc que le syndicat cité ci dessus ait été créé peu de temps après.D'ailleurs, le chantier va connaitre deux grèves dure, dans les années 1896-97, et ensuite en 1898 (pour la gestion de la mutuelle)

Les ouvriers en question exerçaient un métier pénible, et dangereux. Avant l'invention de la soudure, les plaques d'acier des bateaux étaient rivées. On les faisaient chevaucher légèrement, on les perçait et on posait des rivets dans ces trous. Il fallait chauffer le rivet pour écraser à coups de masse l'extrémité du rivet afin de bien unir les deux plaques. Et pour les navires, cela se faisait sur des échafaudages, puisque les plaques étaient à la verticale.

Et donc, il s'agit ici d'un accident mortel, ayant couté la vie à l'ouvrier TOSELLO.
Nous sommes en 1897. Il n'y a pas de sécurité sociale (il faudra attendre encore près de 50 ans, et la victoire des alliés et de la Résistance sur les nazis et un patronat collaborateur). 

Donc, que doit faire la famille ? Normalement, mourir de faim....Puisque la seule réponse de la Direction des Chantiers, face aux délégués, c'est qu'ils n'ont qu'à aller voir une compagnie d'assurances privée.. et qu'il veut bien intervenir pour trouver une solution "à l'amiable". Et puis d'abord, hein, c'est peut être la faute de l'ouvrier qui veut travailler trop vite...

Pourquoi ? A l'époque existait ce qu'on appelle "les prix faits". Pendant une certain période, les ouvriers étaient payés "à la tache". Dans ce cas là, une plaqué rivée rapportait x francs. Plus on en rivait, plus on gagnait. A la fin de la période, on revenait à une cadence "normale". Donc, pendant cette période, on allait le plus vite possible. Et comme les échafaudages fignolés, ça faisait perdre du temps..ben ce sera la faute aux contremaitres. Qui ralentiront donc la cadence et seront mal vus..

Un souvenir personnel : mon grand père, qui a été un temps (cinq ans) ouvrier au Chantier, me racontait souvent que lorsqu'il était "matelot" (apprenti) son ouvrier "tuteur" lui disait souvent, pendant cette période "Pitchon, c'est un attrape couillons. A la fin le patron va nous dire que si on est capable de travailler plus pendant les prix faits, ça va devenir la cadence normale. Alors, d'aise d'aise (doucement!!) "

Bon, ça n'existe plus. On a juste remplacé ça par l'atteinte d'objectifs plus élevés que les objectifs "normaux" pour toucher intéressement et primes diverses. 
Aujourd'hui, une des rues de La Seyne porte le nom du Directeur des FCM. Aucune le nom de Tosello, la victime. Aucune non plus les noms de Boeri, Laugier et Forget.....


 Sue les riveurs, un émouvant documentaire sur les chantiers de Port De Bouc.







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